Hypnose éricksonienne

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Consultant Ressources Humaines, Hypnothérapeute, Coach

lundi 17 août 2015

L'AVENIR RÉSIDE DANS LE PASSE


"L’enfant en devenir est pris dans les mailles des rets générationnels, tissés par les lignées des deux parents et dont il vient renforcer le nouage, mis en place au moment de leur rencontre"

Adeline LANDOLT

L’avenir réside dans le passé


« L’homme est dès avant sa naissance et au-delà de sa mort pris dans la chaîne symbolique, laquelle a fondé le lignage avant que s’y brode l’histoire. »
                                     Jacques Lacan[1]
La naissance est la conséquence de l’accouchement et constitue le passage entre deux univers, deux mondes qui ne peuvent se rencontrer et dont seul le nouveau-né peut témoigner. Chacun d’entre nous a résidé dans cet espace clos dont nous paraissons avoir tout oublié. Mais de quoi pourrions-nous nous souvenir, alors que nous étions seuls, à l’abri des influences de l’extérieur ?
Dans certains pays, selon les croyances, à la naissance de l’enfant les ancêtres sont remerciés de l’avoir protégé. Nos sociétés ne sont pas coutumières de cette tradition, bien qu’on reste troublé par cet inouï  et magique processus de vie qui s’est déroulé pendant la gestation. Tout au long de cette période, l’enfant balance entre le statut de sujet et le statut d’objet, d’être avant de naître car parlé et pensé. Il existe déjà dans l’imaginaire de ses deux parents et de l’entourage mis dans la confidence de son existence.
On le croit seul et à l’abri dans son berceau utérin, mais la mère, le père, les frères, les soeurs, les grands-pères, les grands-mères, les oncles, les tantes… et tous les aïeux se penchent sur lui et l’entraînent dans une folle farandole dont ni eux ni lui ne contrôlent le rythme et la fougue. Soulevé, emporté, déplacé, le bébé virtuel valse dans l’imaginaire familial, incapable de résister aux projections inconscientes des lignées dont il est issu. 
Dès le moment de sa naissance au-dedans, la subjectivité de l’enfant va passer par les investissements et les identifications, conscientes et inconscientes, de ceux qui l’ont conçu : « On est tissu avant d’être issu », note avec justesse A. Ruffiot[2]Fil de la trame du roman familial, le bébé à naître est à la fois le descendant et l’ancêtre ; assigné à une place dans la succession des générations, il est le représentant inconscient des rêves parentaux et des fantasmes familiaux. 
L’enfant en devenir est pris dans les mailles des rets générationnels, tissés par les lignées des deux parents et dont il vient renforcer le nouage, mis en place au moment de leur rencontre. Des alliances inconscientes qui se sont formées à cette occasion, il va en être le gage et le garant. Elles vont être déterminantes pour le sujet. C’est sur cette base qu’il construira son individualité, son avenir psycho-socioculturel. Introduit dans « le corps fantasmatique familial »[3], le psychisme de l’enfant utérin devient un maillon de la chaîne des générations. Il va s’opérer à cet effet une réorganisation des places et des rôles de chacun dans la dynamique intergénérationnelle et dont va dépendre l’aptitude des deux parents à la parentalité.
« L’hérédité psychologique interroge la filiation et l’affiliation en établissant entre les générations « une continuité psychique dont la causalité est d’ordre mental (…). Elle ne se manifeste pas moins par la transmission à la descendance de dispositions psychiques qui confinent à l’inné. »
                                                                                                                J. Lacan[5]
Etre sujet d’un groupe familial détermine la subjectivité de l’enfant en devenir, dans l’intersubjectivité et dans l’espace qui lui est concédé. A sa naissance, souligne E. Granjon, « « le mandat familial » lui est transmis par l’intermédiaire d’un  « contrat narcissique » lui offrant une place dans l’ensemble et l’invitant à prendre la parole dans la suite de la chaîne de discours qui l’ont précédé. »[6] Les déterminants traversent les générations et le fœtus est déjà porteur d’une histoire, constituée des traces mnésiques des relations aux générations antérieures. Ce sont des « signifiants préformés », qui « nous devancent et nous annoncent »[7].
En 1932, S. Freud met en évidence que le Surmoi ne résulte pas uniquement de l’intériorisation des interdits et des exigences parentaux, mais s’édifie d’après le Surmoi parental, représentant de la tradition. Quelques années plus tard, il écrira dans l’Abrégé de psychanalyse : « En dépit de leur différence foncière, le ça et le Surmoi ont un point commun, tous deux, en effet, représentant le rôle du passé, le ça celui de l’hérédité, le Surmoi, celui de la tradition, tandis que le Moi est surtout déterminé par ce qu’il a lui-même vécu, c’est-à-dire par l’accidentel et l’actuel. » Le Surmoi perpétue le mythe familial en délimitant l’interdit, en imposant au clan son cortège de réprobations, de condamnations, de prohibitions et de censures, entraînant la disqualification dans leur sillage. Un événement traumatique dont on ne peut se souvenir ne peut se dire, mais tel un fantôme s’installe dans la psyché, y domine et triomphe de son pouvoir, sur plusieurs générations. Un enfant peut venir témoigner de la présence fantomatique, en révélant à son insu ce qui devait rester caché et ignoré. Sa symptomatologie est aussi silencieuse que le fantôme dont il est possédé. Les parents transmettent ainsi, à leur insu, un fantôme dont eux-mêmes peuvent être les héritiers. Abraham et Torok soulignet que le fantôme n’a pas d’énergie propre et qu’il poursuit en silence son œuvre de déliaison dans l’inconscient de celui qui l’abrite, après avoir transité par celui d’un parent. Contre son gré, à son insu, l’enfant reconduit l’histoire familiale, emporté dans une spirale interactive négative qui l’interne et l’emprisonne, car là réside le paradoxe du fantôme, qui se manifeste par le négatif, dans ce qui ne peut être dit ou représenté : « Ce ne sont pas les trépassés qui viennent hanter, mais les lacunes laissées en nous par les secrets des autres. »[13] 
Selon R. Kaës[8], il y aurait une compulsion à transmettre l’inéluctable. De génération en génération, des messages indicibles et muets sont ainsi véhiculés, jusqu’à ce qu’ils aient trouvé un destinataire qui deviendra en même temps la victime d’un sort impitoyable et parfois cruel. D. Dumas[9] souligne la férocité inexorable de cette transmission en confiant que « la grande majorité des adolescents asilaires » qu’il avait rencontrés avaient eu à « explorer l’impensé généalogique qui (leur) avait servi de berceau ». Le « contrat narcissique » qui lie l’enfant à ses parents est remplacé par un « contrat psychotique » aliénant, précise E. Granjon[11]qui ajoute : « Seul un « contrat psychotique », en lieu et place du contrat narcissique de naissance, peut lui offrir une place possible, celle d’être la part cachée et inaccessible de la famille, qu’une construction autistique isole. »[12] 
Le développement du fœtus est lui-même inhérent aux liens affectifs conscients et inconscients que ses parents et en premier lieu sa mère, tissent avec lui. Elle lui communique ses pensées les plus intimes, ses fantasmes, ses désirs et ses pulsions. Ce qu’elle lui transmet trahit son éprouvé et les sensations les unissent de manière aussi subtile qu’inexorable. L’enfant de l’intérieur enregistrerait des informations sur l’état émotionnel de la mère et ces expériences fœtales pourraient enrayer sa croissance psychique qui, comme le souligne D. Dumas[14], soit « s’auto-engendre dans l’autre », soit « s’y auto-détruit ».
« Le trauma est dans le futur et non dans le passé »
                                                                                                         J. Derrida[10]
Adeline Landolt
Droits strictement réservés.

BIBLIOGRAPHIE :
[1] LACAN J., Ecrits, Texte intégral, Ed. Seuil 1999, p. 294
[2] RUFFIOT A., La thérapie psychanalytique de la famille, L’appareil psychique familial,Thèse 3ème cycle, Grenoble II
[3] ANDRE_FUSTIER F., AUBERTEL F., La transmission psychique en souffrance inLe générationnel, Ed. Dunod, Paris 2005
[4] LACAN J., Les complexes familiaux, mars 1938,  ecole lacanienne.net
[5] Ibid.
[6] GRANJON E., S’approprier son histoire in La part des ancêtres, Ed. Dunod, Paris 2006, p.42
[7] KAËS R., Le générationnel, Ed. Dunod, Paris 2005
[8] KAËS R., Généalogie et transmission, Echo-Centurion, Paris 1988
[9] DUMAS D., L’ange et le fantôme, Ed. de Minuit, Paris 1985, p.54
[10] DERRIDA J., L’écriture et la différence, Ed. du Seuil, Paris 1965
[11] Ibid.
[12] Ibid. p.53
[13] ABRAHAM et TOROK, L’écorce et le noyau, Champs Flammarion,  Ed. 2001
[14] Ibid.
[15] SLAMA W., Enjeux et perspectives in Anthropologie du fœtus, Ed. Dunod, Paris 2006
[16] GOLSE B., Le Fœtus dans notre inconscient, Ed. Dunod, Paris 2004


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